Il vous est très certainement déjà arrivé de ressentir, à certains moments et sans raison apparente, une envie de manger un aliment précis.
Ceux parmi vous, habitués à réaliser des activités sportives d’endurance, ont déjà pu éprouver cette forte envie d’aliments caloriques, sucrés ou salés, après une épreuve physique. A ce moment-là, il est plus courant d’avoir envie de manger des biscuits salés, du chocolat ou une banane plutôt que des carottes râpées ou des radis !
Cette envie de manger un aliment précis correspond aux appétits spécifiques. Ils expriment l’attrait pour un aliment – que l’on a déjà consommé – et qui contient un élément nutritionnel dont notre corps a besoin à un moment précis. Bien sûr, nous n’avons pas conscience de manquer de tel ou tel nutriment : tout se fait naturellement.
Différencier l’appétit de la faim
A la différence de la faimqui nous signale la nécessité de satisfaire un besoin global en énergie (et dont la définition est rappelée plus bas), l’appétit, lui, est sélectif. L’appétit ne se satisfait que de ce qui calme une envie spécifique. Si vous avez particulièrement envie d’une glace à la pistache, vous n’accepterez pas qu’on vous propose à la place des spaghettis à la bolognaise. Ce plat aurait sans doute pu calmer votre faim mais assurément pas votre appétit.
Plus précisément, les appétits spécifiques nous indiquent vers quel aliment nous tourner afin de couvrir nos besoins nutritionnels à un moment donné.
Rôle des appétits spécifiques dans la régulation de nos apports alimentaires
En tant que mangeur, et sans avoir recours aux étiquettes nutritionnelles, nous sommes bien incapables de connaître la composition précise d’un aliment. En revanche, nous possédons nos senspour nous guider. Par apprentissage, la totalité de nos sens permettront l’identification d’un aliment ainsi que la valeur affective et symbolique que nous lui attribuons. La vue nous renseigne sur son aspect, l’audition et les récepteurs mécaniques sur sa consistance, les récepteurs gustatifs sur sa saveur, les récepteurs olfactifs sur ses arômes, les récepteurs thermiques sur sa température. Au bout du compte, nous sommes capables de dresser de cet aliment une véritable image sensorielle.
Prenons l’exemple de la tomate.
Elle devient un aliment rouge et rond, craquant à l’extérieur, mou à l’intérieur, comportant de petites particules plus dures, discrètement sucré, etc. Chaque aliment possède ainsi une sorte de carte d’identité sur laquelle sont consignés tous les effets qu’il produit à nos sens. Mais pour notre cerveau, chaque image sensorielle est associée à une autre image, biologique cette fois. Grâce à tous les sens, stimulés par la présence de l’aliment, le cerveau peut le reconnaître et l’associer à sa composition nutritionnelle. Celle-ci a été apprise lors des ingestions précédentes : notre corps mémorise la composition chimique des aliments consommés. Ce mécanisme est effectué grâce à l’intégration d’informations provenant de messages sensoriels, neuronaux et hormonaux. Ceux-ci sont déclenchés pendant la prise alimentaire, la digestion et la métabolisation des aliments. Notre intestin est pourvu de capteurs qui évaluent la qualité des aliments (leur teneur en sucres, en protéines, en graisses, en vitamines, en minéraux). Ces informations sont ensuite transmises à notre cerveau et participent à la régulation de la prise alimentaire à court et à long terme en créant les appétits spécifiques.
Notre corps possède donc une mémoire dans laquelle il a enregistré qu’un aliment rouge, rond, discrètement sucré, craquant à l’extérieur, mou à l’intérieur et comprenant des petites particules dures apporte beaucoup d’eau, de petites quantités de glucides, du potassium, du carotène, de la vitamine C, etc. Inconsciemment, nous connaissons la composition exacte de cet aliment. Nous l’avons expérimenté au cours des ingestions précédentes et mémorisé à la manière d’une table de composition des aliments.
Grâce à cela, lorsque notre corps décèlera une carence, il nous donnera envie de l’aliment désigné pour répondre précisément à cette carence. Nous serons aussi capables de savoir combien il nous faudra en manger pour combler cette carence.
Des travaux scientifiques ont démontré ce mécanisme. La vitamine B est le premier nutriment pour lequel un appétit spécifique a été confirmé. Il en a été de même concernant le calcium et le magnésium. Des études montrent que l’attirance en aliments riches en calcium est plus élevée chez les femmes qui allaitent, comparativement à celles qui n’allaitent pas. A l’inverse, chez les personnes supplémentées en magnésium, on observera une réduction de l’attirance pour les aliments riches en magnésium. Autre exemple, chez les individus présentant une insuffisance surrénale, on constate une attirance étonnante pour la réglisse, ce produit contenant des substances qui contribuent à corriger leurs troubles. Ces personnes éprouvent alors un grand plaisir à consommer des aliments pour lesquels elles pouvaient n’avoir jusqu’alors qu’une simple indifférence. Soudainement, la réglisse deviendra un aliment recherché et qui aura « bon goût ».
Faire confiance à son corps et à ses appétits spécifiques
L’existence des appétits spécifiques est en parfaite concordance avec notre statut d’omnivore qui nous impose de diversifier notre alimentation. En fonction de nos besoins, notre corps va donc apprendre à sélectionner des aliments.
En cas d’hypoparathyroïdie, le taux de calcium dans le sang à jeun est anormalement bas. De ce fait,quand on manque de calcium, il n’est pas surprenant d’être davantage attiré par le fromage, le lait ou les laitages, qui sont riches en calcium, plutôt que par un steak ou un fruit qui en contiennent nettement moins. Car en fait, notre corps lui-même sait ce dont il a besoin pour être en meilleure santé.
A noter qu’une adaptation progressive de notre corps s’installe,cela bien sûr avec l’aide de nos traitements devenus indispensables pour améliorer et réguler au mieux notre calcémie (et éventuellement d’autres paramètres sanguins comme le taux de magnésium ou celui de potassium). Et désormais cette calcémie diminuée – par rapport à celle d’avant l’apparition de la maladie – devient notre nouvelle valeur de consigne. Les appétits spécifiques se manifesteront davantage quand le taux de calcium dans le sang diminuera par rapport à cette valeur de consigne devenue notre valeur de référence.
Choisir les aliments qui répondent à nos appétits spécifiques
Habituellement, dès que nous commençons à manger, nous ressentons du plaisir à manger. A la fois parce que ça soulage notre sensation désagréable de faim et parce que le plat choisi stimule agréablement nos papilles. Puis au fil de la consommation du plat, le plaisir décroît jusqu’à disparaître. C’est alors que nous décidons de choisir un second plat -avec « un goût différent du plat précédent » – qui à son tour nous procurera un grand plaisir gustatif car il correspondra à la satisfaction d’un besoin différent. Une fois ce besoin satisfait, le plaisir, encore une fois, s’éteindra. C’est ainsi que nous n’avons plus envie du plat principal – et même s’il en reste dans notre assiette –et plutôt envie de passer au dessert. Quand, en tant que mangeur, nous aurons satisfait l’ensemble de nos appétits, et donc de nos besoins, nous atteindrons l’état de satiété, c’est-à-dire l’état de non faim. Si nous nous forçons à poursuivre, nous pourrons même ressentir une gêne digestive voire des douleurs ou des nausées.
C’est donc le plaisir gustatif qui va nous guider dans nos choix alimentaires. Les questions qui nous viendront à l’esprit sont « De quel plat j’ai envie ? Quel plat me ferait plaisir ? ». En effet, nous nous dirigerons vers le plat qui nous procurera le plus grand plaisir gustatif et qui correspondra, sans qu’on s’en rende compte, à celui qui comblera le mieux les besoins de notre corps. Sans que nous le sachions, à cet instant, ce que nous désirons le plus, c’est précisément l’aliment que notre corps nous réclame. Le plaisir attendu en mangeant cet aliment est d’autant plus intense que notre besoin sera important. Inversement, quand nous sommes amenés à manger un plat identique de manière successive et répétée (parce qu’il y a beaucoup de restes par exemple), il est probable que le désir de manger ce même plat – et d’en manger à nouveau – ainsi que le plaisir ressenti à chaque consommation de ce plat s’amoindriront progressivement, jusqu’à ne plus éprouver de plaisir du tout, voire même à éprouver de l’écœurement.
Ainsi si malgré une envie de manger du fromage, vous préférez manger une pomme (pour diverses raisons), vous ne serez très probablement pas complètement satisfaits de la pomme. Et tant qu’on n’a pas ressenti cette satisfaction, que le plaisir gustatif n’est pas assouvi, on a tendance à continuer à manger, et cela même si le nombre de calories nécessaires a été atteint ou dépassé. Être attentif à nos appétences, c’est-à-dire être conscient de l’adéquation de l’aliment que l’on mange par rapport à nos envies du moment, contribue ainsi à la régulation de notre comportement alimentaire.
A noter que lorsque l’envie de manger certains aliments devient le moyen privilégié pour réguler ses émotions, il ne s’agit alors pas d’une réaction pour apaiser une carence physique du corps. A ce moment-là, ce mécanisme ne correspond pas à un appétit spécifique mais à une envie de manger émotionnelle dans le but de calmer une émotion désagréable. Assouvir ses envies de manger émotionnelles permet aussi de réguler notre comportement alimentaire, sur le versant émotionnel. Effectivement, manger un aliment dont on sait qu’il nous procure du plaisir gustatif, dont on pense du bien et dans des conditions d’attention suffisante permet de calmer des émotions désagréables. Mais c’est là un autre sujet …
Quelques définitions
Un appétit spécifique correspond à une envie de manger un aliment précis qui contient un élément nutritionnel dont notre corps a besoin à un moment précis. Nous n’avons pas conscience de manquer de tel ou tel nutriment : tout se fait naturellement. En fonction de nos besoins, notre corps va donc apprendre à sélectionner des aliments.
Le plaisir gustatif nous guide dans nos choix alimentaires. Les questions qui nous viendront à l’esprit sont « De quel plat j’ai envie ? Quel plat me ferait plaisir ? ». Nous nous dirigerons vers le plat qui nous procurera le plus grand plaisir gustatif et qui correspondra, sans qu’on s’en rende compte, à celui qui comblera le mieux les besoins de notre corps.
La faim apparaît quand les cellules du cerveau commencent à manquer de glucose. Elle se manifeste généralement par une sensation de gêne, un « creux » au niveau de l’estomac, puis cette gêne va s’intensifier avec une sensation douloureuse à l’estomac pouvant s’accompagner d’une impression de faiblesse ou même de malaise général si on attend trop longtemps avant de manger. Cela nous incite à nous mettre en recherche de nourriture d’autant plus rapidement que ses sensations sont intenses et désagréables. Car contrairement à ce que beaucoup pensent, la faim ne nous donne pas d’informations sur la quantité de nourriture à consommer mais seulement sur le délai qu’il nous est possible de tolérer avant de manger. Ainsi, quand on est affamé, on se doit de manger dans un délai court. Alors que celui qui a peu faim est encore capable d’attendre avant de manger. De plus, avoir très faim ne signifie pas devoir manger beaucoup. En revanche, quand on est affamé, peu importe ce qu’on mange, « on ne fait pas le difficile », à partir du moment où le repas nous apporte de l’énergie. C’est cet apport de calories dans un délai tolérable qui va satisfaire la faim.
Nos références
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Article rédigé par Florence
1 commentaire
Merci et bravo pour cet article aussi intéréssant qu’instructif