C’est lors d’un atelier à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, dans le cadre des Hypoparateliers initiés par Dr Cécile Ghander, que nous avons découvert une approche à la fois sensible, créative et profondément humaine : le Théâtre du Vécu.
Pensé comme un espace d’expression et de transformation, cet atelier permet aux patients atteints de maladies chroniques – dont l’hypoparathyroïdie – de poser des mots, des émotions, et parfois même des rires sur leur vécu.
Une démarche artistique qui touche au cœur de ce que signifie vivre avec une maladie rare.
Une expérience humaine et artistique
Créé en 2002 par le Pr Jean-Philippe Assal, médecin visionnaire, et Marcos Malavia, metteur en scène, le Théâtre du Vécu s’inscrit dans une démarche d’éducation thérapeutique élargie.
Il repose sur un processus en trois temps :
écrire son histoire,
la mettre en scène avec des comédiens professionnels,
puis en devenir spectateur.
Cette mise à distance de son propre vécu, parfois douloureux ou enfoui, permet de l’apprivoiser autrement.
Il ne s’agit pas d’un spectacle mais d’un partage profond, à la croisée de l’intime et du collectif.
En racontant et en voyant représentée une expérience marquante liée à la maladie, les patients se réapproprient leur récit.
Et ce récit, une fois mis en scène, devient aussi le miroir d’autres vécus.
Une liberté d’expression totale
L’un des grands atouts de cet atelier, c’est la liberté totale de ton et de sujet.
Le patient est libre d’écrire sur le thème qu’il souhaite : un moment marquant de sa vie, une colère rentrée, une scène familiale, un échange avec un soignant… ou tout autre aspect de sa vie, même sans lien direct avec la maladie.
La seule contrainte (et elle stimule la créativité !) : imaginer un dialogue entre deux personnages.
Plusieurs scénarios sont possibles : deux parties de soi-même, un patient et un médecin, un parent et un enfant, un souvenir et le présent…
Tout cela se fait dans un cadre bienveillant, soutenu par l’équipe artistique, notamment Marcos Malavia, dont la sensibilité et les conseils avisés permettent à chacun de prendre confiance.
Le participant devient metteur en scène de sa propre histoire : il choisit la manière dont la scène sera interprétée, le ton, les éclairages, la musique, les accessoires… Un privilège rare et profondément émouvant.
Le déroulement concret : un atelier accessible à tous
L’un des points forts du Théâtre du Vécu, c’est qu’il est accessible même à distance : les participants peuvent prendre part à l’expérience en visioconférence, depuis chez eux, tout en bénéficiant d’un accompagnement personnalisé.
L’atelier se déroule en plusieurs étapes successives :
Première rencontre (en visio ou sur place) : présentation du projet, échanges avec Marcos Malavia et son équipe, explication du cadre et des objectifs. C’est un moment de prise de contact bienveillant où chacun peut poser ses questions et se sentir en confiance.
Deuxième étape : l’écriture – Le participant rédige son texte, souvent sous forme de dialogue, avec la liberté de choisir le ton, le sujet, les personnages. Il peut ensuite échanger à nouveau avec Marcos pour peaufiner son texte.
Troisième étape : la mise en scène – Une nouvelle rencontre en visio réunit les acteurs professionnels et le metteur en scène. Le participant devient alors le metteur en scène de son propre texte, guidé avec douceur et respect. Les comédiens prêtent leur voix, leur corps et leur émotion pour donner vie à ces mots.
Moment final : la projection – Pour les participants qui en donnent leur accord, les scènes sont présentées à l’équipe médicale. Ce moment est d’une grande richesse : il permet aux soignants de voir autrement le vécu des patients, d’en percevoir les nuances, les émotions et les impacts invisibles de la maladie.
Ces échanges nourrissent la compréhension mutuelle et font évoluer la manière d’aborder la relation soignant-patient.
L’hypopara autrement : un autre regard
Pourquoi cette démarche est-elle précieuse dans l’hypoparathyroïdie ? Parce que notre maladie est souvent invisible, difficile à expliquer, et parfois mal comprise même dans le monde médical.
Participer à un atelier de ce type, c’est reprendre du pouvoir sur son vécu, tout en faisant entendre sa voix autrement.
Le Théâtre du Vécu crée une passerelle entre l’expérience intime du patient et le regard des soignants. Il permet de dire ce que les mots du quotidien n’arrivent pas toujours à exprimer : la fatigue, l’incompréhension, la peur des crises, le sentiment d’être « à côté du monde » quand le corps ne suit pas.
Et cette parole mise en scène touche souvent bien plus que de longs discours médicaux.
Une chance inouïe
C’est une chance inestimable de côtoyer des acteurs professionnels, de sentir que sa parole est digne d’être jouée, d’être prise au sérieux, écoutée et mise en lumière.
Certains participants disent qu’ils se sont sentis « écoutés pour la première fois » en voyant leur texte interprété sur scène.
Le simple fait d’entendre ses propres mots dits par un autre, de les voir incarnés, peut être une forme de libération.
« Le Théâtre du Vécu, c’est comme un tatouage intérieur qui nous rappelle qu’on est capable de surmonter ça », disait l’un des participants.
Et pour la suite ?
Nous espérons que d’autres ateliers de ce type pourront être proposés dans le cadre de la prise en charge de l’hypoparathyroïdie, que ce soit à la Pitié-Salpêtrière ou ailleurs.
Car donner la parole aux patients, leur permettre de transformer leur vécu en force créative, c’est aussi une façon de redonner du sens et du pouvoir à ce que l’on traverse.
Une manière poétique, humaine, et résolument constructive d’habiter pleinement son parcours de soin.
Témoignage de Christelle, participante aux Hypoparateliers
Voir le soleil entre les nuages
Participer au Théâtre du Vécu a été pour moi une expérience unique, profondément humaine et apaisante.
Grâce à l’accompagnement bienveillant de Marcos Malavia, je me suis sentie en confiance dès le début. Même si j’étais en visioconférence, j’avais vraiment l’impression d’être avec eux, dans le théâtre. Il nous a proposé de baisser les volets, de créer une atmosphère particulière… et soudain, nous étions dans une bulle connectée, un espace suspendu où seules comptaient la parole et l’émotion partagées avec le metteur en scène et les acteurs.
Marcos est très attentif à nos ressentis, car l’exercice peut parfois être émotionnellement intense. Il veille à ce que chacun avance à son rythme, sans forcer ce qui ne peut pas encore être dit. Cette vigilance rend l’expérience profondément respectueuse et sécurisante.
Au départ, j’avais envisagé d’écrire une scénette en lien avec une grosse crise de tétanie, un épisode extrêmement traumatisant. Mais très vite, en replongeant dans ce souvenir, j’ai été submergée par l’émotion. J’ai alors compris que je n’avais pas besoin d’aller plus loin.
J’ai symboliquement jeté ma feuille par terre, et, à ma grande surprise, ce simple geste m’a fait énormément de bien.
Ensuite, j’ai décidé d’écrire un dialogue entre deux versions de moi-même : le “moi d’avant”, celui qui découvrait la maladie avec ses peurs, ses incertitudes, mais aussi beaucoup de colère, et le “moi d’aujourd’hui”, plus apaisé, plus lucide. Ces deux personnes se sont retrouvées, réconciliées. Celle qui reste aujourd’hui veut se concentrer sur les belles choses qui lui sont arrivées, sur tout ce qui reste possible.
Le reste existe, bien sûr, mais il doit prendre moins de place et ne plus occuper toute la lumière.
Je vois vraiment cette expérience comme une chance, une parenthèse originale et précieuse. Me sentir privilégiée d’avoir pu participer à une telle initiative, entourée d’artistes et de soignants à l’écoute… c’est quelque chose que je n’aurais jamais imaginé vivre. Et finalement, je me dis que cela ne serait pas arrivé sans l’hypopara. Comme si, au détour de cette maladie, la vie m’avait offert une autre manière de me raconter.
C’est ma façon à moi d’avancer sur le chemin de la résilience.
Je préfère, désormais, voir le soleil entre les nuages.
Pour en savoir plus :
Horizon HypoPTH N°1 (https://www.filiere-oscar.fr/actualite/23372/22387-horizon-hypopth-n-1.htm)
Article rédigé par Christelle
